Nous verrons en étudiant les évolutions sociales touchant les femmes durant le second Moyen Âge (XIème-XVIème) celles qui ont concerné plus généralement le petit peuple, la masse de paysans et pêcheurs souvent occultés des livres d'Histoire. Nous parlerons dans cet article de servage, rébellions, peste, villes-libres et hérésies….
Dans le premier article de cette série nous avions vu le statut dont jouissaient les femmes dans le « marc'htiernat », système social essentiellement rural qui était en place durant l'époque du Royaume breton. Ce système, bien que patriarcal, permettait aux femmes libres d'avoir une indépendance financière vis-à-vis de leur mari, d'avoir un certains nombres de pouvoirs : juridique, politique ou encore religieux.
Après la parenthèse scandinave, la Bretagne est affaiblie et ne regagnera plus jamais le niveau d'indépendance qu'elle avait précédemment. Elle devient un duché et les changements culturels (cf article sur les langues) sociaux et religieux sont profonds.
Ce dernier sera le premier touché avec le démantèlement des "chrétientés celtiques" les femmes ne participent plus activement à la célébration de l'office dès avant l'an mil.
Le féodalisme, créateur de tensions sociales.
Jusqu'alors en marge du monde féodal, ce système s'impose alors en Bretagne et y instaure des bouleversements sociaux. Dans ce système les serfs sont dominés par des seigneurs, doivent travailler leur terres, effectuer des corvées très contraignantes et payer de nombreuses taxes et se battre pour eux.
La femme est sous l'autorité complète à la fois de son mari, de son père et de son seigneur.
Les tensions sont vives et fréquentes, par exemple autours de l’utilisation des bois et marais que les paysans considéraient comme des biens collectifs alors que les seigneurs en disputaient la propriété
exclusive. Les paysans qui « braconnent » sont sévèrement punis comme le montre cet acte :
Acte du gage de 50 livres déposé par Éon de la Roche-Bernard, curateur de Guillaume de Clisson, pour délivrer trois forestiers de son pupille, détenus par le duc comme coupables d'avoir chassé avec ses chiens dans la forêt d'Héric et tué l'un d'eux. (1298, 22 juillet)
Les femmes quant à elles perdent leurs droits (quand elles en avaient) d'hériter de la terre. Dans le duché, certains droits sont cependant reconnus aux femmes comme celui de posséder des biens au sein du couple. En l'absence d'enfants, une femme veuve pouvait garder la moitié des biens acquis durant son mariage et l'autre moitié en usufruit, cette dernière part était perdu en cas de remariage.
Ces conditions sont difficilement supportables pour les paysans de l'Europe médiévale, qui se révolteront de nombreuses fois tout au long de ce second Moyen Âge. Rébellions rudement réprimées un peu partout.
Cependant nous n'avons pas trouvé d'exemple de rebélions de paysans en Bretagne alors qu'elles étaient intenses dans une large partie de l'Europe. Une des raisons est sans doute l'absence de deux impôts particulièrement détestés : la gabelle et la taille. Une autre raison pourrait être l'écart moins important entre noble et peuple, car il y avait de nombreux nobles dans le duché (9,6% de la population de Saint-Molf au XVème, la moyenne du duché était de 4,8%) mais des nobles souvent "pauvres" qui ne possèdent que très peu de terres (90 % des seigneureries font moins de 20 hectares). De plus la présence de frairies permettait une solidarité forte (notamment fiscale) entre les paysans.
(Cette carte ne montre que les seigneuries les plus importantes, mais comme des poupées russes chacune se découpe en plusieurs seigneuries vassales souvent minuscules, ainsi dans Fresnay nous avons Levrisac, Carheil, Longle, Guiniou, Lespinay, Lagodin, Boulay, Tréguel, ...)
Mais la menace de la révolte fera évoluer le système, les seigneurs auront recours à la monnaie pour payer certaines corvées. Nous assistons alors à une monétarisation de la société qui permettra à certains paysans d'acheter leur « sang » et d'embaucher à leur tour d'autre paysans. Évolution plutôt heureuse pour ces derniers, mais ce n'est pas le cas pour tous et ce système précipitera une large partie de la paysannerie dans une dette chronique creusant les différences sociales au sein même du monde paysans.
Les femmes sont particulièrement sujettes à la paupérisation pour les raisons cités ci-dessus (n'héritent pas, filles-mères rejetées,….).
À Carnac en 1475, 10 % des paysans sont aisés, 40 % vivent correctement, 30 % dans des conditions précaires et 20 % dans la misère. La moyenne de pauvres dans le duché au XVème est de 8,4% de la population mais les différences sont grandes entres les paroisses. Piriac donne 26% de sa population comme pauvre alors que la Saint-Molf voisine ne présente pas de pauvreté fiscale.
(Mais à quoi pense ce soldat breton sous son casque frappé de la croix noire ? La désertion était un vrai sport médiéval, en 1300 l'Angleterre dans une campagne contre l'Ecosse enrolle 16000 paysans en Juin, il en reste 7600 en Juillet et environs 3000 en août...)
Villes-libres :
Nombre de ces manants trouvent refuge dans les villes et les villes-libres. C'est à cette époque que sont créées ces dernières en leur conférant des avantages économiques (certains impôts et corvées n'y existent pas). La proportion de femmes y est ainsi généralement plus importante que la moyenne et elles y exercent toutes sorte de métiers dont certains peuvent nous sembler étonnants aujourd'hui (forgeronnes, bouchères, boulangères, brasseuses, …).
Le bourg du Gâvre était ainsi une ville-libre crée par le duc de Bretagne sur une trève de Plessé au début du XIIIème siècle, de nombreux privilèges sont accordés aux habitants.
La Brière pourrait peut être aussi rentrer dans cette catégorie car beaucoup de droits sont donnés à ses habitants par le duc en 1461 (droit de chasse, coupe de roseau, pêche,...).
Ces zones « détaxées » pouvaient servir de refuge ou de seconde chance aux plus miséreux.
Le système féodal étant moins oppressif ce phénomène reste modeste en Bretagne, cette dernière restera ainsi sous-urbanisée.
(Petites heures d'Anne de Bretagne, 1475)
Les « Éons ».
« le flot de ses partisans, que leur nombre rendait terrifiant, vaguait en divers lieux, s'acharnant surtout contre les églises et les monastères"
Plutôt que sur le pouvoir seigneurial, c'est donc contre le pouvoir religieux où nous avons trouvé des exemples de rebéllions dans nos contrées.
Le second Moyen Âge voit le retour de l’érémitisme et les mystiques en désaccord avec la réforme de l’Église sont nombreux à fuir la société et chercher la solitude dans les grandes forêts de l'est du duché.
Parallèlement, cette période voit l'apparition des mouvements millénaristes. Considérés comme des hérésies et violemment combattus par l’Église ils pullulent un peu partout en Europe. Selon eux, la fin du monde est proche... alors profitons-en. Leurs succès est dû à une doctrine qui permet le retour à une vie en communauté plus simple, avec moins d'inégalité.
Les rangs des hérésies sont grossis par les manants, paysans pauvres, femmes de « mauvaise vie » chassées par leur famille….
En Bretagne c'est un certain Éon de l'étoile (au début du XIIème) qui sera à la tête du mouvement le plus important, centré sur l'est de la Bretagne et principalement le diocèse de Saint-Malo. Ce dernier aurait interprété le passage d'une comète comme un signe divin (d'où son surnom). L'homme est noble et utilise son argent pour nourrir ses fidèles, le succès ne se fera pas attendre puisque nous somme en période de famine. De plus les éons gomment les différences sociales féodale en utilisant un autre système de titres comme « Sagesse » ou « Jugement ».
« mais qu'ils mettaient plutôt toute leur obstination à se glorifier de leurs faux titres, au point que celui qui se nommait « Jugement »/…./ ils préférèrent brûler plutôt que se corriger pour sauver leur vie" »
L’hérésie deviendra une source d'inquiétude parmi les autorités ecclésiastiques. Ces derniers interpréteront (paradoxalement à la manière d'Éon) le passage d'une comète à Nantes comme le signe de la fin de l'hérésie :
« C’est alors que nous vîmes avec toi une comète glissant sur sa lancée, tête la première, en direction de l’ouest, présage assuré, selon ta réflexion, de la ruine de l’hérésie qui se répandait alors en Armorique »
En fait plus qu'une comète, c'est surtout le procès et la condamnation d'Éon et l'envoi des fidèles au bûcher qui aura raison des "éons".
Mais les hérésies ne s’arrêteront pas là. En 1145 l'archevêque de Reims écrit un traité contre les hérétiques bretons qui « professent des théories à la fois anti-sacramentelles, anti-sacerdotales et anti-ecclésiales ». En 1206, presque un siècle après la mort d'Éon, le pape dénonce la persistance des hérésies dans le diocèses de Nantes, Saint-Malo et Rennes.
(Vilains et soldats regardent un duel)
Les aspects positifs de la peste noire...
Pour couronner le tout une épidémie de peste ravage l'Europe et le bassin méditerranéen. La Bretagne compte ainsi 1 million d'habitants en 1390, il en restera 850 000 après le passage de ce fléau en 1430.
Paradoxalement cette épidémie aura des effets positifs sur la paysannerie, car s'il y a autant de terres à travailler et moins de bras, le coup du travail augmente... Les paysans se sont donc retrouvés en position de force par rapport aux seigneurs et en droit de négocier.
Lorsqu'ils n'étaient pas satisfaits ils pouvaient toujours facilement aller trouver du travail ailleurs.
Cette situation sonnera le glas du servage et débouchera sur le XVème siècle que certains appellent « l'age d'or de la paysannerie ».
Les paysans-pêcheurs.
Nous avons beaucoup parlé des paysans mais la zone qui nous intéresse est aussi bordée par la mer et présente des activités différentes. Au Moyen Âge ont rencontre enfin les « paysans-pêcheurs » qui voient l’année divisée en deux périodes. La première reservée aux travaux agricoles et la seconde aux campagnes de pêche. Dans ces sociétés où les hommes sont absents une grande partie de l'année (s'ils ne sont pas morts en mer), les femmes ont eu forcément plus de responsabilités. C'est sans doute de l'organisation de ces ports de pêcheurs qu'est né le mythe du « matriarcat breton » durant le XXème siècle, en réalité on en était bien loin….
Conclusion :
En comparaison avec ses voisines la Bretagne est bien sage durant ce second Moyen Âge. Alors que les révoltes sont nombreuses à la fois contre le pouvoir politique et religieux ailleurs en Europe, nos paysans bretons n’ont exprimé leur mécontentement qu’à travers le braconnage et les mouvements hérétiques. Un système féodal « light » en est certainement la cause.
Quant aux femmes, il serait tentant de comparer leur sort à celui du premier Moyen-Age et de montrer une perte de droit dans toutes les sphères (politique, juridique et religieux), c’est peut être le cas mais ces deux sociétés permettent-elles vraiment la comparaison ? À quoi comparer une femme libre du cartulaire de Redon ? Une métayère ? Une paysanne libre ? Une noble ? La vie de la paysannerie de ce second Moyen-Âge est beaucoup plus proche de celle de la paysannerie de l’époque moderne que celle du premier Moyen-Âge. La période vue dans cette article est une époque de changements profonds.
Bibliographie :
Federici Silvia, Caliban and the witch, Autonomedia, Brooklyn 2004.
Alain Gallicé, Guérande au Moyen Âge. PUR, Rennes, 2003
Chédeville André-Tonnerre Noël-Yves, La Bretagne féodale XI-XIIIè siècle. Ouest-France, 1987
Bounoure Gilles, L'archevêque, l'hérétique et la comète, revue Médiévales, 1988
Éon de l'étoile.