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13 juillet 2014 7 13 /07 /juillet /2014 20:05

La construction d'une maison est dans de nombreuses cultures un acte religieux. Le pays nantais n'y coupe pas ! Dans cet article nous aborderons les croyances aux génies domestiques qui sont à l'origine de nombres coutumes et traditions en rapport à la maison et à la ferme durant les siècles passés mais aussi encore, un peu, aujourd’hui.

Cet article est nourri des recherches et analyses du médiéviste et professeur à la Sorbonne Claude Lecouteux (cf références dans la biblio) qui a étudié un large corpus sur le sujet concernant toute l'Europe et différentes époques ce qui lui a permis de tirer des archétypes, de clarifier ces croyances éparses.

 

La construction, un acte religieux :

 

Plusieurs coutumes sont attestées en pays nantais concernant la construction :

-Dans la Mée à la frontière de l'Anjou on enterrait des chats vivants sous ce qui allait être le foyer (Sébillot, Lecouteux).

-On mettait des « pierres de tonnerre » (silex, haches préhistoriques) dans la maçonnerie (Brière), cette pratique est attestée dès l'âge du Fer (cf biblio)

-Lorsque le toit était fini, un enfant grimpait accrocher un bouquet sur la charpente (Sébillot, Dréan)

-Parfois, on faisait appel à un curé pour bénir les lieux, surtout s'ils étaient connus pour abriter de mauvais esprits (Blain),

-Blain : :"Une coutume plus profane consiste à répandre un peu de sang d'un animal dans la maison neuve. Afin d'écarter le malheur, car chaque maison nouvelle réclame une victime" (Sorin)

 

Une fois la maison et ses annexes construites, on prenait soin d'y attacher tout un tas de protections :

 

-Peindre des croix de chaux sur les murs à Pâques

-Mettre du sel dans les étables

-Pendre du faux-houx (fragonette) dans les écuries (taï) (Plessé)

-Du romarin béni dans la maison et l'écurie. (Pléssé)

 

(Exemples de croix de chaux dessinées sur des fermes de Bergon et du Crugo, F. Guériff, Terroirs du pays de Guérande)

 

Durant les journées réputées dangereuses du calendrier agraire, on rajoutait des protections :

 

-du gui accroché vers Noël dans la maison (Plessé), les cendres de la bûches de Noël ou du feu de Saint Jean étaient conservées comme protection du foyer, on accrochait des petites croix de joncs aux calendes de mars (Pierric), des rameaux de néflier pour les calendes de mai (Châteaubriant)

 

Mais de quoi devaient protéger toutes ces coutumes bizarres ?

En fait, elles n'ont rien d'inhabituelles et étaient connues autrefois un peu partout. Nous verrons qu'elles sont le reste d'anciennes croyances liées aux génies domestiques

 

Campbon :

« quand on rentrait dans une maison fraichement construite on.. il fallait faire du sang, il fallait tuer un coq et arroser les pièces avec du sang / ah bon ?/ pourquoi ?/ c'était pour éloigner les mauvais esprits surement. »

 

(croix protectrice sur le toit d'une ferme, Ruelmain)

 

 

Les génies :

 

Ils sont généralement nommés simplement par rapport à leur activité ou selon le bâtiment qu'ils étaient censés hanter, par exemple « le lutin des écuries ».

Ce dernier est sans doute le mieux attesté par ici :

 

 

à Blain on les nomme « leutins » : « "les leutins visitaient les écuries pendant la nuit, montaient les chevaux qu'on retrouvait le lendemain couverts d'écume, trayaient les vaches, tondaient les moutons, ils s'introduisaient même dans les habitations par le trou de la serrure ou par la cheminée arrêtaient les pendules et faisaient craquer les meubles" (Sorin, 1930). Ils tressaient aussi la crinière des chevaux.

 

Comparez avec ce témoignage médiéval :

"les esprits malins se livrent parfois à leurs jeux dans les écuries, portant des cierges d'où tombent des gouttes dans la crinière et sur le cou des chevaux, et la crinière de ces bêtes est soigneusement tressée"

Guillaume d'Auvergne (De L'univers, XIIIème siècle).

 

Remarquez enfin l'ambivalence des actes de ces esprits qui prennent soit soin du bétail (crinière tressée, traient les vaches, tondent les moutons...) soit ont une attitude négative (arrêter les pendules, montent les chevaux...). Dans les croyances l'esprit domestique est en fait un peu bipolaire, d'où tout un arsenal de protections et d'offrandes comme nous l'avons vu plus haut car « quand il s'y plaît dans cet endroit tout y réussit » (Sébillot).

 

 

Mais qui sont ces génies, ces leutins ?

 

 

 

Le génie un mort comme les autres, le mort un génie comme les autres.

 

 

« Les lutins des écuries sont d'anciens valets de ferme. » (E. Rolland)

 

Partout, les ethnologues ont posé la question de l'origine de ces génies aux paysans, il en ressort que pour la majorité d'entre eux, ces derniers étaient d'anciens habitants. Selon les endroits il s'agissait de la personne qui a construit l'édifice, ou le premier a y être décédé ou encore la personne qui a défriché le terrain.

 

Sortons du pays nantais pour lire une description des génies domestiques par les frêres Grimm, dressée en fonction de leurs collectages :

« On pense que ce sont de véritables hommes sous la figure de petits enfants, vêtus d'une robe bariolée. Si l'on en croit certaines personnes, les uns auraient un couteau planté dans le dos, les autres un autre objet; tous porteraient des marques plus ou moins hideuses selon qu'ils auraient été tués autrefois de telle ou telle manière, avec tel ou tel instrument. Je dis tué car on les tient pour âmes de ceux qui ont été anciennement assassinés dans la maison." (légendes allemandes)

 

On est loin des joyeux nains de Disney ! L'esprit tutélaire n'est donc qu'une sorte d'ancien propriétaire morbide qui fait des siennes lorsqu’il n'a pas eu son loyer !!

 

Comme il s'agit de morts, ils peuvent bien sûr être homme ou femme, lorsque le génie est une femme elles ont généralement l'apparence d'une sorte de dame blanche, comme ce témoignage de Kercassier (Brière) :

 

« La « Fée » de Kercassier apparaissait près de la cheminée dans la masure aux vachers du dit village et venait piquer la meilleure pomme qui cuisait dans la cheminé avec son sabre, le valet lui donna un coup de tison et fut sévèrement puni de son acte. (BSMF 54, Guériff) .

 

Guériff s’étonne du terme « fée » pour ce qui ressemble plus a un revenant, en fait nains, fées, génies ont tous des liens profonds avec les morts.

Cette anecdote est intéressante car l'apparition vient chaque soir piquer une pomme aux vachers, elle vient elle-même quérir son tribut, son offrande.

 

 

 

Le "korrigan familier" à Batz-sur-mer :

 

Trois histoires de korrigan au bourg de Batz, dans ces trois histoires nous retrouvons plusieurs éléments vu ci-dessus :

 

"Les femmes de Batz qui babillent, assises sur les goémons en attendant la mer montante, vous diront que des petits esprits bienfaisants aidaient parfois les ménagères aux travaux de la maison"( J. Desmars)

 

→ les lutins aident.

"En ce temps, lui racontait-on, les korrigans allaient dans les chaumières et s'y faisaient bien voir, des femmes surtout, à qui ils rendaient de menus services, aidant au ménage, mais tout cela finissait mal, ils en abusaient.
Cela dura jusqu'au moment où une femme du bourg de Batz, sur le conseil de son mari, ayant fait rougir le feu le trépied sur lequel le korrigan familier s'asseyait, ce dernier s'étant brûlé, s'enfui en poussant des cris et emmena tous les autres korrigans, ses frêres, avec lui
".

(De Kersabiec)

 

→ nous retrouvons le foyer et trépied, le fait que ces derniers puissent être bon ou méchant, le fait de posséder un « korrigan » familier.

 

« Cette histoire se racontait un peu partout, et sans beaucoup de variantes, dans l'ancienne île de Batz. Il y est toujours question d'un joyeux paludier qui laissait sa femme au logis pour aller « borbocher » aux veillées. L'épouse passait son temps à filer près de l'âtre. Un petit « crapados » venait lui tenir compagnie. Il s'asseyait sur le trépied de fer et l'aidait à dévider sa laine. À la fin, elle eut peur de lui et en parla à son mari.

« Tu iras ce soir veiller, je prendrai ta place » dit le malin bonhomme.

Affublé d'une « taille » et d'un cotillon il se mit au rouet.

Dès l'entrée, le korrigan remarqua la substituion et demanda :

« où donc est la bonne femme deursoir (d'hier soir) qui n'est pas ce soir, et qui tant filoche et tant dévioche et tant lui averroche ? »

«Puis il s'assit sur le trépied. Mais le méchant mari avait fait chauffer le trépied au rouge. Le Lutin s'enfuit en hurlant et ne revint jamais.

(Guériff F. Les korrigans se faisaient bien voir des femmes...Histoire et Patrimoine H.S 3 )

 

le trépied passe encore pour le siège de l'esprit du foyer. Il aide la ménagère.

à Nantes, sic "On ne doit jamais laisser le trépied vide dans la cheminée ; le diable viendrait s'y asseoir" (Revue des traditions populaires, 1 novembre 1900, p.581)

 

 

 

Offrandes :

 

Les offrandes à ce génie se font à différents moments : à la construction du bâtiment d'abord, comme nous l'avons vu on sacrifiait souvent un animal par exemple. Parfois, durant l'année on laissait de la nourriture pour ce dernier.

Lorsque la mariée arrivait dans sa nouvelle maison, elle exerçait une « circombulation » comme dans le Nord-Ouest du pays nantais à Férel et Camoël :

On organisait une fouée (feu) pour accueillir la mariée dans sa nouvelle maison, elle devait l'allumer avec une « quenouille » (sorte de bâton avec de la paille et des rubans) tout en faisant 3 fois le tour, le marié devait lui tirer avec un fusil sur une bouteille pleine de pétrole accrochée au mat central de la « fouée ». Si la femme arrivait à faire ses trois tours avant que l'homme n’atteigne la bouteille c'est elle qui dominerait le ménage. Ensuite on dansait. (Dréan)

 

Ce genre de rite très symbolique se faisait aussi ailleurs en Europe. La mariée fait trois fois le tour du foyer de sa nouvelle demeure. Trois est un chiffre sacré et le feu, le foyer est l'un des lieux où l'on pensait que le génie vivait. Nous avons vu tout à l'heure que la « fée » de Kercassier apparaissait près de la cheminée, dans le Morbihan gallo (Lecouteux) on faisait des offrandes au génie de la maison par l'intermédiaire de la crémaillère, on « nourrissait la termaillère » avec du sel. Le foyer avait une valeur symbolique très forte autrefois (lieu du feu, des veillées, c'est par la cheminée que l'on pensait que les êtres maléfiques passaient).

 

à Sion avant un mariage c'est un animal décoré « un viao ou ben un ptit boeuf » qui devait faire le tour de la table dans les maisons du village .Ce dernier était ensuite tué et consommé, on retrouve l'idée de sacrifice rituel. (collectage personnel)

 

édition: Anecdote sordide dans une chanson traditionnelle en breton vannetais « ur vatezh yaouank ganet dezhi ur mab » une jeune femme enterre son bébé illégitime sous le foyer de la maison :

« Edan korn an oaled he deus eñ interet » // elle l'a (l'enfant) enterré sous le coin du foyer

Geste qui pourrait passer pour complètement incompréhensible sans la croyance aux offrandes, rites de fondations, etc... que nous avons vus plus haut. (écoutez la chanson ici).

 

 

Bref, tout cela permettait à la nouvelle venue dans la maison d'attirer les bonnes faveurs des esprits tutélaires.

 

 

 

 

 

La couleuvre s'abreuvant de lait :

 

(paysans adorant un serpent XVème)

 

On pensait que ces génies pouvaient prendre plusieurs formes comme celle d'animaux et particulièrement la forme de serpent de chats noirs ou de souris en Bretagne. La suite va nous permettre de comprendre une croyance encore bien vivante mais restée mal comprise celle de la consommation de lait par les couleuvres. À Plessé par exemple (mais dans bien d'autres endroits de Haute Bretagne aussi) on croit encore que les couleuvres viennent boire aux pies des vaches.

 

Pays Baltes :

"l'ancienne coutume introduite même dans de nombreuses demeures allemandes, d'entretenir des serpents domestiques, de les nourrir de lait et de leur donner un gîte dans les étables afin que l'élevage soit encore plus heureux a semble-t-il disparue" (A-W Hupel 18ème)

 

Dans le nord de l'Europe les paysans on ainsi nourrit rituellement des serpents avec du lait en pensant qu'ils étaient une forme du génie domestique jusqu'au 19ème siècle et que les entretenir ainsi permettrait d'apporter la prospérité sur leurs fermes.

Il faut savoir qu'un peu partout le lait est l'aliment de l'autre monde et se retrouve souvent dans les croyances.

édition : Le génie domestique est représenté par un serpent depuis l'époque antique, il en était de même pour les romains qui le représentaient sous ces traits sur leurs laraires (autels familiaux).

 

En Bretagne il y a deux sons de cloches : on dit que les vaches appelaient les couleuvres comme leurs veaux pour qu'elles viennent téter le lait. À la manière de la fée de Kercassier qui vient chercher son tribut (la pomme), le génie sous forme de couleuvre vient s'alimenter directement aux pis des vaches.

Mais il existe une autre version plus inquiétante pour le paysan : la couleuvre vient voler le lait de ses vaches. C'est un acte de sorcellerie, un voisin utilise son génie tutélaire pour s'enrichir.

 

Dans une société où l'on croit que, comme nous l'avons vu dans l'article sur la sorcellerie (lien), une ferme qui prospère le fait au détriment des autres ; les paysans qui jetaient du lait sur les couleuvres pour que leur fermes prospèrent devaient vite être taxés de sorciers.

 

Les déplaceurs de bornes :

Avec les haies, les bornes délimitaient les terrains et pouvaient aussi avoir une grande importance symbolique. En témoigne la croyance, très populaire, aux "déplaceurs de borne". Sorte de fantôme condamné à errer pour avoir déplacé une borne... Un mauvais esprit "collait" alors la borne au malheureux qui devait alors sans cesse demander aux vivants : "je la mets où ?" . Il ne sera délivré que lorsque quelqu'un lui répondra "où tu l'as trouvée".  De Parscau du Plessix rajoute (ici)  après une histoire du type se déroulant à Ruffigné :

"ceux qui arrachent les bornes limitant leur champ, leur vigne, leur pré, leur jardin et les replacent sur un terrain contigu ne leur appartenant pas, s'exposent à courir le garou. Or, notez-le, on peut trucider son prochain, on reste indemne des entreprises du garou."

 

 

Conclusion:

 

Le génie domestique est donc l'esprit d'un ancien ou d'une ancienne attaché à la ferme ou une annexe, si il est bien traité il protège la maison de la foudre ou des génies domestiques voisins qui viendraient voler du lait ou des biens, il permet aussi d'avoir de bonne récolte, de s'enrichir etc... Si il ne l'est pas il provoquera des incendies, se vengera en jouant des mauvais tours ( par exemple en faisant voler les pommes dans le grenier  (Plessé).

 

 

Aujourd'hui :

 

Ces croyances en des génies domestiques existent dans les quatre coins du monde et, aujourd'hui encore nous pouvons en voir les traces : histoires de maisons hantés, les nains de jardins, donner une dent à la « petite souris » contre une pièce... ces usages et croyances ont perdurés et sont des restes d'une croyance plus générale en la présence d'un esprit maître ou maîtresse d'un lieu.

 

 

Le lexique :

 

bon patron : c'est le nom gallo du génie protecteur à Blain (Souvestre)

 

ànghille de hâ, signifie « couleuvre » en gallo (littéralement anguille de haie), c'est certainement un peu tiré par les cheveux mais il y a peut être un rapport entre ce nom et les génies domestiques car dans beaucoup de langue, comme l'allemand Heckemännchen (petit homme de la haie) par exemple, il est question de « haies » dans le nom de ces génies. La haie est ce qui clos l'habitat, l'espace du paysan, une zone frontière entre le cru et le cuit comme dirait Strauss, zone sacrée que l'on pensait pouvoir être habitée par les esprits domestiques or nous avons vu l'ancien lien qui unissait cet animal aux génies ci-dessus.

 

En breton il existe aussi plusieurs mots pour ces génies, le plus anciennement attesté est arc'houere (dans le dictionnaire de Grégoire de Rostrenen publié en 1732) ce mot est traduit en français par « génie familier ». Un autre mot, vannetais : Matezh argant, pepon argant, se présente sous les traits d'un bébé ou enfant magique qu'il faut nourrir pour que sa ferme prospère .

 

 

La termaillère : La crémaillère en gallo, il n'y a pas qu'en pays gallo que l'on nourissait le génie familier à travers elle :

Lettonie :" Chaque fois que l'on cuisait de la nourriture et qu'elle était prête, il fallait en verser quelques gouttes sur la crémaillère à laquelle pendait la marmite, le drac s'en contentait. un maître de maison faisait ainsi et devint riche. Un jour, une servante seule à la maison oublia de faire cela et le drac se vengea en boutant le feu à la demeure" (489) (Johanson, Der Schirmherr)

 

Conclusion :

 

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ses génies domestiques dans les croyances du nord du pays nantais et cet article sera certainement réédité pour rajouter des informations tant les croyances et coutumes qui sont liées à ce thème sont nombreux

 

 

Bibliographie :

 

Lecouteux C. La maison et ses génies, édition Imago, 2002

 

Les pierres de tonnerre dans les fondations de l'age du fer

 

Guériff F : Les korrigans se faisaient bien voir des femmes...Histoire et Patrimoine H.S 3

 

Guériff F : Bulletin de la société Mythologique Française n°54

 

Guériff, F., & Le Floc’h, G. (2006). Terroirs du pays de Guérande... Ploudalmézeau: Label LN.

 

Dréan Hervé ; Autour de la Roche-Bernard, Dastum, 1985

 

Sorin H : Folklore blinois 1930

 

Sebillot P. Les Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne 1882

 

puit à Marsac sur Don

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