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20 avril 2016 3 20 /04 /avril /2016 14:10

« Supplie, s'ilz treuvent quelque langage mal aorné par deffaults d'elegance ou plaisant stille, qu'ils l'aient pour excusé, attendu qu'il est natif de Bretaigne et que françois et breton sont deux langaiges moult difficiles a disertement prononcer par une mesme bouche ».

 

C'est ainsi que s'excuse l'historien Alain Bouchart né dans la presqu'île du Croisic vers 1440 dans ses Grandes Croniques de Bretaigne publiées en 1514. Il montre que même s'il était issu d'une grande famille: les Boucharts de Kerbouchard (Bourg de Batz), la langue maternelle d'Alain était le breton.

 

(Alain Bouchart)

 

Alain Bouchart eu une vie bien remplie. Il fut tour à tour notaire, maître des requêtes à la cour du duc de Bretagne, historien, ... et même pirate ! (il participe a des actes de piraterie contre des navires génois, allemands et espagnols entre Belle-Ile et Noirmoutier).

Les archives concernant ces pirates croisicais médiévaux montrent, sans surprise, que la langue bretonne s'entendait à bord. Par exemple, le capitaine Guillaume Trimau qui menait des actions contre les espagnols en 1530 était surnommé "Bihan" qui signifie "petit" en breton.

 

Mais revenons à Alain Bouchart, il est question plusieurs fois de la langue bretonne dans son œuvre. Il décrit, par exemple, la situation linguistique de la Bretagne par la division en trois groupes de trois évêchés (courante à l'époque) :

 

en troys dicelles eueschez comme Dol, Rennes & Sainct Malo, lon ne parle que langaige francois : en trois autres, Cornoaille, sainct Paul & Treguer, lon ne parle que langaige breton, qui est pour tout vray le propre langaige de Troye : & en Nantes, Vennes & sainct Brieuc, lon parle communement françoys & breton.

 

En cette fin du XVe il y avait donc trois évêchés de langue française, trois de langue bretonne et trois mixtes. Cette situation linguistique sera encore d'actualité jusqu'au début du XXe .

La mention de la ville antique Troie est due à une croyance médiévale selon laquelle le breton était la langue des troyens (!).

 

Alain Bouchart donne parfois des indications linguistiques, des traductions:

 

« Daniel appellé drem ruz, qui vault a dire en françoys face vermeille, fut couronné roy de Bretaigne... »

 

Ou encore:

« Vterpandragon : pandragon est langaige breton qui vault a dire en francois teste de dragon. Et pour ce, cy apres, le nommerons doresnauant Vterpandragon. »

 

(Kerbouchard à Batz-sur-mer, village d'origine de la famille)

 

 

Faux modeste ?

 

 

Alain Bouchart s'excuse donc de son français, mais il faut bien l'avouer, il ne parle pas du tout le « galleg saout » (mauvais français). Rien d'étonnant en réalité puisqu'il a fait des études et a dû côtoyer des francophones dès son enfance. Il maîtrise cette langue parfaitement. De plus son œuvre a été relue par plusieurs personnes (lui même et sans doute par les imprimeurs), sans parler des multiples éditions, avec plusieurs corrections.

J'ai tout de même cherché de potentiels bretonnismes passés entre les mailles du filet mais pas de quoi en faire un bouquin; de plus ils pourraient aussi s'expliquer par de simples coquilles de l'imprimeur.

 

(La bataille d'Auray selon les Grandes Croniques de Bretaigne)

 

Par exemple :

 

 

° Près Londres dans la version de 1514 a été corrigé plus tard par près de Londres

 

En breton on dira « e-tal Londrez » ou « e-kichen Londrez » (mot à mot : à côté Londres)

 

° commencea estre corrigé par commencea à estre

Le breton « deraouiñ » comme « komañs » ne fonctionnent pas forcément avec une préposition.

 

ha deroù a rae Youann soñjal e oa e vreureg un den a-vod (Dihunamb)

(et Yann commençait (à) penser que son beau-frère était génial)

 

En breton médiéval on aurait quelque chose comme *e zezrouas bout (...commencea (à) être…).

 

°Peut-être aussi une confusion assez courante dans la phrase suivante, due à la préposition bretonne get qui signifie à la fois « avec » et « par » :

 

Or pour retourner a nostre premier propos, apres que les Rommains eurent ete receuz a rençon auecques ses Bretons

 

J'imagine que Bouchart voulait plutôt dire *par ses Bretons

 

Ce type de bretonnisme est très vivant parmi les locuteurs de français en Basse-Bretagne et des phrases comme « je n'osais pas lever la tête avec la honte » (H. Lossec) sont encore courantes.

 

 

Malheureusement le texte est en prose, il est donc difficile de trouver des bretonnismes phonétiques comme nous l'avions fait pour le briéron Guillaume De Saint André (article par ici).

 

 

 

 

Bibliographie :

 

Bouchart A. Les grandes croniques de Bretaigne (en ligne)

 

Auger M-L, Variantes de presse dans l'édition de 1514 des "Grandes croniques de Bretaigne" d'Alain Bouchart, dans Bibliothèque de l'école des chartes, n°141, 1983

 

De la Borderie A. Études bibliographiques sur la chronique de Bretagne d'Alain Bouchart, Caillère, Rennes, 1909

 

Lossec H. Les bretonnismes, Skol Vreizh, Morlaix, 2011

 

Gallicé A.  "Les bavures de l’action corsaire : l’exemple du Croisic, 1450-1540", Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 2002

 

 

La tour Saint Guénolé et le moulin de la falaise depuis Saint Nudec.

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