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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 20:17

La toponymie, un peu comme l'archéologie, permet quand elle est bien utilisée de remonter le temps. Nous ne remontrons pas le temps avec des châteaux ou des céramiques mais avec des mots.

La toponymie nantaise est essentiellement romane, avec quelques noms de lieux gaulois, et quelques rares toponymes bretons.

 

Nantes est une ville et pose donc un problème, les citadins ont une fâcheuse tendance à créer des toponymes à partir de noms d'Hommes. (aah le genius-loci n'est vraiment pas mort!). Il faut donc souvent sortir de l'intra-muros pour trouver de « vrais toponymes ».

 

1) Gallo

 

Voici quelques toponymes romans, assez typique du pays gallos qui ne sont pas forcément transparents pour un francophone :

 

Le Bignon : En gallo un « bignon » désigne une source.

 

Doué Garnier : Le « doué », c'est le lavoir en gallo dont un certain Garnier était le proprio.

 

La Noë Lambert : Une noë, c'est un terrain bas et humide en gallo. Vu l'emplacement de la ville de Nantes, il n'est pas étonnant de retrouver ce mot plusieurs fois.

 

La Nouëtte (1857) : la petite noë.

 

le Clos Ferré : Un « clos » c'est un champ « clos ». Ferré est le nom d'un ancien propriétaire.

 

La Sausaie : La sauze c'est le saule, la « sausaie » est donc le lieu planté de saules.

 

Le Pré d'Eubas (1771): Plus souvent nommé « pré d'Aval » (une forme normalisée?), Eubas vient du gallo « abas », le sud ou le bas d'une zone. Ce toponyme répond au « pré d'amont ». Tous deux sur la petite « Biesse ».

 

La Boire de Toussaint : « boire » désigne dans les parlers de la basse Loire une sorte de petit golfe formé par le fleuve. Il existait plusieurs « boires », par exemple la boire des Recollets.

 

Les Ecrois : Désigne un dépôt de sédiments (sable, gravier,...) transporté par le courant ("alluvion" en français). A l'est de l'île de Nantes.

 

La Musse : Une "musse" est un passage dans une haie.


L'Echallier: Sorte d'échelle pour passer par dessus les haies.

 

Le Houssay : Lieu planté de « houx ».

(Plan des îles de la Sardine et de Trevelec sur la Loire, 1781)

 

 

Noms de propriétaires.

 

Une grande partie des noms en « -ière » sont construits de telle sorte :

Nom de propriétaire ancien+ (i)ère.

 

Thébaudière : Terres du dénommé Thébaud.

 

L' Angevinière : Terres du dénommé Angevin.

 

La Guillotière : Terres du dénommé Guillot.

 

La Morrhonière : Terre du dénommé Morrhon (peut-être du surnom gallo « mohon » mot péjoratif désignant un asocial)

 

La Tortière : Terre du dénommé Tort (signifiant « tordu »)

 

Ces noms en -ière apparaissent à partir du XIème siècle.

 

 

Les toponymes romans représentent la quasi-totalité de la toponymie nantaise. Ce n'est pas vraiment une surprise puisque c'était la langue de ses habitants. Cependant une autre langue devait s'entendre fréquemment dans les rues de la cité des ducs de Bretagne.

 

 

2) Breton

 

En 1491, un chevalier originaire de Cologne entreprend un long voyage. Durant son voyage ce dernier écrit des petits lexiques des langues qu'il entend dans les villes visitées. Et il note à Nantes, surprise...du breton.

Ce n'est en fait pas si surprenant que ça, car les bretons « tonnants » ont toujours été nombreux dans cette ville. D'abord ceux de passage : paludiers du pays guérandais, marchands bas-bretons, marins de toute sorte, nobles venus de Basse-Bretagne en visite ou dans la cour ducale…

Mais aussi les gens venus des territoires encore bretonnants du pays nantais ou d'ailleurs en Basse-Bretagne. Ces derniers se seraient manifestement regroupés dans certains quartiers du nord et de l'ouest de la ville dès le Moyen Âge (cf B.luçon, ). Les derniers « quartiers bretons » en date (peuplés surtout de cornouaillais), encore bien vivants dans la mémoire des nantais, étaient ceux de Chantenay (Sainte Anne, Ville-en-Bois, Saint-Clair,…) où la messe sera en breton jusque dans les années 30. Témoignage surprenant, on m'a raconté l'histoire d'un homme né et mort à Chantenay au début du XXème sans jamais avoir appris le français.

En fait, même si les « mahos » comme on les appelait, ont toujours été nombreux, leur empreinte a été nulle sur la toponymie nantaise. Ces derniers apprenaient vite la langue locale, et après une ou deux générations nous avions des nantais ne sachant plus un mot de breton.

Cependant, comme dans les communes des alentours (Saint-Herblain, Couëron, ...), il existe à Nantes quelques toponymes bretons éparts. Voici sans doute le plus connu :

 

Carcouët : Difficile de rater celui-là. À l'ouest de Nantes, il est formé de « Car » (lieu fortifié) et de « coët » (bois). Pour que quelques noms de lieux bretons soient présents dans cette zone, il y a dû avoir à époque ancienne une présence bretonnante bien implantée même si déjà minoritaire. Malheureusement les données manquent. En tout cas l'adage "on n'a jamais parlé breton à Nantes" est une bêtise.

 

(Le Chemin de Basse-Bretagne à l'ouest de la ville, 1716, ancien quartier bretonnant ?)

 

3) Celtique antique.

 

Noms les plus anciens et les plus difficiles à interpréter il témoignent des premiers siècle de la ville, quand elle était une cité gallo-romaine.

 

les Mauves : Peut-être à rapprocher de *marua « (la rivière) morte » « mortes-eaux », qui a donné des hydronymes semblables comme la « mauve », dans le Loiret, la Marve en Champagne-Ardenne.

 

Chantenay (Chantnài en gallo) : *cantinãcon = le domaine de « Cantinos » (cf Delamarre). Ce nom d'homme gaulois est attesté latinisé (Cantinus, Cantenius). La racine "cant-" ayant eu le sens de "bord", Jacques Lacroix propose un "domaine du bord" (domaine au bord (de la Loire) et/ou au bord de la cité des Namnète, le fleuve servant de frontière avec les Ambilatres à l'époque).

 

Cheviré (Chuiré en gallo) : Peut-être à rapprocher de Cauariacon (Delamarre) Cauarios (le "héros"), c'est le domaine du héros. Gallois : cawr (géant, champion), vieux-breton : kaour (cf prénom Corentin).

 

Doulon : À rapprocher de la racine celtique « dol » méandre d'une rivière (dolenn= polder en breton).

 

Biesse : Petite et grande biesse. Biesse pourrait venir du gaulois "betua" (bouleau) que l'on retrouve dans le breton "bezv" de même sens. Ce mot gaulois est encore connu dans de nombreuses langues d'oïl ( "bies") et est attesté en ancien français (biez). C'est un terme celtique bien présent dans les noms de lieux. De plus ces arbres apprécient les sols pauvres et humides.

 

Sources :

 

Bertrand Luçon, Les noms de lieux bretons du pays nantais, Yoran Embanner, 2016

Jacques Lacroix, Enquête aux confins des pays celtes, Lemme Edit, 2019

Hervé Tremblay : http://herve.tremblay.monsite-orange.fr/

Delamarre Xavier, Noms de lieux celtiques de l'Europe ancienne, éditions errance, 2012

Dictionnaire de gallo en ligne : Lecuyer Fabien, http://teinzoudougalo.unblog.fr/teinzou-dou-galo/

 

Cartes anciennes :

 

Plan géométrique de F-J Pinson, 1857.

Carte « Sebire », 1795

La Loire-Couëron-Le Pellerin-Nantes, 1771

Plan de Nantes, De Fer Nicolas, 1716

Plan de Nantes, Charpentier H-D, 1846

 

 

Langues et toponymie : Nantes
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commentaires

M
résidant à Nantes depuis de nombreuses années, ville que j'aime ainsi que son pays, mais originaire du Penthièvre où je passe aussi beaucoup de temps et pratiquant le Gallo, j'ai toujours souri (avec quelquefois une grimace) lorsque qu'on m'évoque "Les Couëts" .Cette manière décrire ce lieu m'a toujours semblé un peu débile. C'est la prononciation exacte en Gallo de Lescouët, cf Lescouët-Jugon
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M
Bonjour, les noms comme "les Couëts" peuvent avoir plusieurs origines, en Bretagne ils peuvent venir du breton lez koed (la cour de la forêt), on en a d'ailleurs quelques exemples en 44 comme Licouët à la Grigonnais, Licouet à Derval, Liscoët à Herbignac,... Mais concernant "Les Couëts" de Bouguenais il ne sagit pas d'un toponyme breton et devrait être écrit plutôt : L'escouët et qui partage la même étymologie que le mot français "écu" (moyen français "esqut").
L
Mitaw un blog très intéressant que j'ai toujours beaucoup de plaisir à lire. Je suis de Redon et il y'a une particularité toponymique autour de Redon (ou plutôt autour de Rieux l'ancienne "Durétie" des Romains) dans un rayon de 30 à 40 Kms il y a énormément de communes et de lieux dit se terminant par " AC ". Certains affirment une origine bretonne. Mais j'ai lu l'avis de plusieurs linguistes qui penchent plutôt sur une origine gauloise reprise par les Romains? J'aimerais bien que vous nous donniez votre avis là-dessus. Merci
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M
Bonjour et merci beaucoup !<br /> Les noms en -ac dérivent d'un suffixe gaulois et datent de l'époque gallo-romaine. En fait ils ont la même origine que le suffixe breton «-eg» avec le sens de «lieu où» ou «lieu de». On voit ainsi des doublets du genre Radenac (gaulois)/ Radenec (breton).<br /> Ce -ac gaulois a ensuite évolué phonétiquement, il est devenu -y dans une large zone du nord de la France (Normandie, alentours de Paris,...), -ay ou -é dans certaines zones de l'ouest.<br /> Il est resté -ac en Occitanie et dans les zones où la langue bretonne a été parlée (le pays de Redon est dans ce cas).<br /> Pour résumer, si les noms en -ac sont si nombreux à Redon c'est qu'ils sont resté «ac» et ne sont pas devenus des «ay» ou «é» comme plus à l'est (Savenay, Ercé, Poligné, Pancé,...) et n'ont pas évolué en «-eg» comme dans les zones encore bretonnantes plus à l'ouest.<br /> À noter une particularité sudiste, le dialecte breton du pays nantais a souvent gardé le « -ac ». <br /> Pour en savoir plus : Tanguy Bernard, Recherches autour de la limite des noms en "-ac" en Haute-Bretagne,Thèse. 1973
G
An "Drug" a oa war ar ster Liger, ha "trug" a dalveze da roudouer pe un dra bennak mo'se. E kichen "Carcouet" 'zo "La Ville en Bois"a seblant troet ger-'vit-ger war ar Brezhoneg. "Loquidy" a c'hellfe dont ag ur familh noblansoù bennak, d'am sonj.Evit farsal e ran gant "Tregont maout" pa'z an da dTrentemoult, hogen farsitez, tra ken !
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K
Kalz a blijadur a vez dalc'hmat o lenn ho skridoù. Trugarez ha gourc'hemennoù eta.<br /> Souezhet on n'eo ket bet sachet ho evezh gant an anv-lec'h Loquidy... Hemañ a hañval bout ken brezhonek ha Carcouët, ma n'eo ket muioc'h ! Ma 'm eus soñj mat e vez kavet hep ger-mell war kartennoù kozh, pezh a glotfe madik a-walc'h gant ur Lok+... Ur sant Kidig pe Gidig a vez(e) enoret e-koestez Mur a gav din. Ken ar c'hentañ Kristen Tonnelle
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M
Mersi bras deoc'h ! N'em eus ket komzet a-zivout Loquidy rak ul levr a zo edan bout moullet a-ziàr an anvioù brezhonek er vro (pas genin, get un den a anavan ne lâran ket) ha soñjet em boa e oa jaojaploc'h narenn leuskel re a ditoutouroù àr an tem-se kuit d'en divouetiñ. Evit Loquidy, gwir a lârit, un anv brezhonek eo hennezh. D'eo ket un anv e "lok" neoazh, ar stummoù kozh a ziskouez stummoù evel "losquidic", ur sort "brûli" kredabl.

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