Dans ce blog vous trouverez des informations sur l'histoire, les langues, et les traditions orales du Nord-Ouest du pays nantais.
Prenons notre loupe et notre imper et allons enquêter sur les traces de la langue bretonne en Loire Atlantique. Et comprendre le véritable travail d'investigation qui les mettes en évidences.
Aujourd'hui parlée par une petite dizaine de millier de personnes dans le département (ce qui est trop peu, même si elle se développe) cette langue passerait presque inaperçue dans le paysage, et certaines mauvaises langues en concluraient qu'elle n'y est et n'a jamais été parlée. C'est évidement faux, allons Sherlock allons voir de quoi il en découle !
Première indice : les noms de lieux.
Et non des moindres, comment rester de marbre devant un panneaux comme «Guémené-Penfao» tout encerclé de rouge qu'il est ! Presque provocant en plein pays gallo ! Comme l'archéologue qui fouille des strates de différentes époques dans le sol, le linguiste se trouve face à des noms de lieux qui nous renseignent sur l'usage de telle ou telle langue, les plus anciens sont gaulois(1) (une langue celtique) les rivières le sont presque toujours (le Don (de la déesse «Don»), l'Isac («impétueuse»), le Brivet («pourvut d'un pont», la Loire («la vaseuse»)... sont tous des noms gaulois) et de nombreux noms de commune, (Nantes (des namnetes), Campbon (le «méandre»), Crossac (le lieux du tumulus) ..), un grand nombre de toponymes gaulois sont remarquables par une finale en «-ac». Ces derniers sont une première piste:
-Ac/ é:
Les noms gaulois permettent aussi de savoir si la langue bretonne était parlée ou pas, ainsi, nous l'avons vus, le gaulois connaissait les noms de lieux en « -ac » (ancêtres du « ec » breton), les populations bretonnantes les prononçaient tel quel d'où : Avessac, Severac, Piriac, Trignac,... Les populations romanes en revanches disaient « é ». Une simple carte permet de faire la différence entre les deux, c'est la « ligne Loth », du nom du linguiste qui en a eu l'idée, elle n'est cependant pas fiable, car Loth n'a pas pris en compte la microtoponymie (les noms des villages et lieux naturels). Elle donne cependant une idée :
Il y a les noms d'origine romane, très nombreux, les plus anciens ont été donnés par la langue latine , les plus récents sont actuels et donnés en français, mais la plus grande portion de cette catégorie à été donné par le gallo, langue d'Oïl dont nous avons déjà souvent parlé sur ce blog.
Il serait vain d'en donner une liste, tant ils sont nombreux et riches, à titre d'exemple citons la suffixe «-ière» ou «-erie» que l'on retrouve très souvent et qui est une formation très apprécié des locuteurs de langue gallaise.
Les noms d'origine romane sont certainement les plus nombreux dans le département, ils sont de moins en moins nombreux à mesure que l'on s'approche des rives du Nord-Ouest, où ils sont même minoritaires. Enfin n'oublions pas l'extrême Sud du département, qui est une langue d'Oïl de transition entre gallo et poitevin, jusqu'à s'apparenter carrément à ce dernier au Sud de Machecoul.
Et les troisièmes sont les noms de lieux d'origine bretonne, présent dans presque tout le département, mais particulièrement à l'Ouest de l'Erdre ( Guenrouët Gwenn+red(Ie gué sacré), Blain Blaen (le sommet), Guérande Gwenn+rann(Ia parcelle sacrée) Tréfieux Tre+Fieg (le village de Fiec), Quilly Killi (le bosquet)... pour ne donner que quelques exemples . A l'Est et au Sud de celle ci ces noms existent de façon sporadiques. Deux cas particuliés cependant, le pays du Vignoble, où ils ne semblent pas présents, et le Nord du pays de Retz qui au contraire en présente de notables, ce qui montre un usage ancien de la langue (certains noms sont même plus anciens que l'annexion du pays de Retz par le royaume de Bretagne (2)), cette zone est surprenante et mériterait une étude appuyée.
Voilà, les faits, comment les utiliser ? Et bien pas n'importe comment, comme cela à longtemps été le cas, la recherche toponymique est une science avec ses règles très strictes, presque mathématiques. Un nom de lieux qui « a l'air», n'est pas un raisonnement rigoureux, il faut s'appuyer sur les formes anciennes, avoir une connaissance approfondie des langues locales anciennes et modernes ainsi de la façon dont elles traitent les différents phonèmes. De nombreux noms de lieux se sont vus affublés de significations fausses à cause de certains «latinomanes» (la connaissance des langues celtiques étant moderne, on a expliqué les noms de lieux uniquement par le latin pendant des siècles) ou de «celtomanes» (qui voudrait voir du breton ou du gaulois partout). Internet, en publiant gratuitement certains livres très anciens sur la toponymie a aussi curieusement, un siècle plus tard, redonné une seconde vie à des explications «tout latines» remises en cause depuis longtemps que l'on retrouve souvent dans les sites des mairies par exemple...
Une fois que des noms de lieux on été identifiés comme bretons, ils peuvent servir à plusieurs choses, d'abord, en les comptant et en faisant des statistiques on peut voir où ils sont le plus nombreux (et donc là où la langue à été le plus parlée). Ce travail à été fait par J.Y LeMoing(3).
(pourcentage de noms de lieux bretons par commune en Haute Bretagne)
-Politique ou culturel ou les deux ?
Outre le fait de les compter, les noms de lieux peuvent se diviser en plusieurs groupe, en fonction de leur signification : certains sont « politiques » car ils résultent de l'organisation politique des anciens bretons : ces noms sont nombreux, ils commencent par « Plou » ou « Ple » (il n'en reste plus qu'un aujourd'hui : Plessé, mais étaient plus nombreux autrefois, il y a aussi les noms en « tre » et en « lan » qui désignent une communauté religieuse. Ces noms de lieux prouvent que la zone étaient sous juridiction bretonne ou en tout cas que les habitants étaient organisés comme tel. Les frairies, qui sont une organisation rurale typiquement bretonne permettent aussi de la même manière de savoir jusqu'où allaient les coutumes et organisations de type « bretonnes » (4):
La encore, ces noms de lieux à eux seuls ne se suffisent pas, ils montrent que dans cette zone l'élite était bretonnante, mais qu'en est il du peuple ?
Et bien le petit peuple bretonnant ne passe pas inaperçu, et nous leurs devons une foule de noms de champs, forêts, collines, marécages...Loins des saints ou des juridictions, la population nomme les lieux qui l'entourent d'une façon pratique, c'est le gros des noms de lieux.
Il apparaît que dans le Nord de la Haute Bretagne, les noms des bourgs sont souvent bretons (formés sur des « Plou » bien souvent) et les noms plus ruraux sont souvent d'origines romanes, ce qui montrerait que l'élite vivant dans les bourgs étaient bretonnante contrairement au peuple, ce qui explique le recul soudain de la langue bretonne dans la côte Nord de la Haute Bretagne (région de Saint Brieuc, Dinan, Saint Malo..). La situation semble être exactement inverse dans certaines communes du pays nantais ou morbihan gallo où des communes au noms romans ou gallo-romains sont entourées par des toponymes bretons dans la campagne environnante.
Exemples criants :
Plancoët (22), nom de commune breton, pourcantage de noms de lieux bretons dans la commune : 7,50%
Herbignac (44), situé à peu près sur la même ligne Nord-Sud, nom de commune gallo-romain a lui : 61,80%
Nous avons vus que le premier indice, les noms de lieux, sont aussi précis et « bavards » que difficiles d'accès, les toponomistes sérieux sont rares mais permettent d'avoir une meilleure connaissances de l'Histoire. Des travaux semblables se trouvent un petit peu partout dans les zones où plusieurs langues se sont croisées, nottement entre langue occitane et oïls, entre piccard et flamand, entre lorrain roman et platt, ou encore entre basque et gascon.
Deuxième indice: le gallo :
Le gallo est une langue romane qui est parlée dans la quasi-totalité du département, elle est souvent injustement taxée de « patois », par ses locuteurs eux même. Sa richesse est cependant certaine et son étude permet d'éclaircir bien des problèmes. Elle peux elle aussi nous aider sur l'implantation ancienne de la langue bretonne, car si le breton à reculé et le gallo avancé, il y a forcément un substrat, mais les choses sont plus compliquées que ce qu'elles paraissent être encore une fois :
Compliquées pour plusieurs raisons, d'une part parce que le breton et le gaulois sont de la même famille linguistique, comment savoir si le gallo « abronë » (donner le sein) vient du breton « bronn » (sein) ou du gaulois « bronn- » ? Évidemment beaucoup sont tombés dans le piège, d'autant plus que le substrat gaulois n'est pas des moindres dans les langues d'oïls (outre le français officiel qui a « purifié » sont vocabulaire). Il y a un moyen de vérifier: si le mot est connu hors de la Bretagne il y a de grandes chances pour qu'il ne soit pas breton mais gaulois, c'est le cas d'abronë, qui est connu ailleurs dans l'Ouest. D'autre mots en revenche semblent suivre l'ancienne limite de la langue bretonne, comme ga(n)pa (restes de céréale), ou plus sûrement beghen (lombric), les mots bretons en gallo existent, mais ne sont finalement vraiment pas nombreux: quelques exemple pour le pays nantais : agouvrë (dot,br: argouvroù=dot), beurnique (soutien-gorge, br: brennidell=soutien-gorge), coscoreilh (beaucoup, br: koskor=troupe), botogètte (sorte de sabot, br: botoù-koed=sabots), corzeau (roseau, br: korz=roseaux), morgouille (méduse, br: morgouilh=méduses), ), craïssant (carrefour br: kroaz-hent=carrefour), carë (corriger, br: kareziñ=corriger), cariquelle (brouette/chariot br: karrigell=brouette/chariot), pegemèn (argent, br: pegement=combien), dre (exactement, br: dres=exactement), kingnë (arracher l'écorce des arbres (br: kigniñ : enlever la peau), trenchon (oseille, br: trechon : oseille), oualë (pleurer, br oueliñ=pleurer)(5), dërwen (joyeux, br: drev=joyeux), blo (mou, br: blot=mou) ... Certains ont vus leur sens devenir négatif : dou (gadoue, br :dour=eau), qhiq ( bidasse, br : kig=viande)
Ainsi que dans certaines tournures de phrases ( j'y comprend kiett ! (à Bouvron), br: Ket: rien), ou encore l'expression de "pierres vertes" pour l'ardoise, en breton un seul mot rend le bleu, le vert et le gris : glas; l'ardoise, dans cette langue se dit donc "maen glas" (pierre bleue/verte/grise); on raconte que c'est à cause des moqueries des citadins que les habitants du pays de Nozay durent changer leur nom vernaculaire "elles ne sont pas vertes vos ardoises !!"; il y a encore par exemple le castelbriantais "yetr pouïllë a-drezz" (être habillé n'importe comment) qui fait bougrement penser au "a-dreuz" (de travers) bretonnant...
(le mot "gapa" est peut être d'origine bretonne ( "gwaspel") car il n'est connus que dans la zone mixte en Bretagne, même si le mot gaulois "uaspa" de même sens est aussi connus en wallon et en gironde ce qui montre l'ambigüité de son origine(6))
En réalité, et c'est un autre piège, c'est surtout le breton qui a emprunté au gallo qui jouissait d'un meilleur statut dans la société bretonne, comme souvent dans ce cas la langue défavorisée emprunte beaucoup à la langue mieux considérée, l'inverse étant beaucoup plus rare. Ce genre de cas est courant, prenont l'anglais par exemple, le substrat celtique y est ridicule, de l'ordre de quelques mots, et pourtant les langues celtiques on été parlées dans toute l'île, en revanche les emprunts au normand sont considérables plus de la moitié du vocabulaire malgré le fait que ces normands n'ont constitués qu'une partie de l'élite.
Troisième indice: noms de familles.
Un certain nombre de noms de familles du département sont d'origine bretonne, un grand nombre d'entre eux sont des prénoms; dont la signification est souvent guerrière:
Guiheneuf: Gwezhenneg (le combatant)
Evain: Even/Ewen (bien né)
Briand : Briant (Elevé)
Halgand : Haelgant (parfait et généreux)
Herve/ Hervouet : Herve (fer-ardent)
Rivaland: Riwallen (Roix valeureux)
Audrain: Aodren (Haut royal)
Menoret : Maenoret (Puissant secour)
Gicquel/ Judic /Yviquel : Jikael/ Jezekael (Seigneur généreux)
et bien d'autres... ces derniers cités sont tous parmis les noms de familles les plus portés du départements.
Là encore, même si ils prouvent une certaine présence de la langue, les noms de familles sont facilement le jeux des "modes" du temps, comme le sont les nombreux noms de familles ( Guihard, Lambert, Herbert...) d'origines germaniques, dont se sont affublés bien des hommes du Haut moyen age alors qu'ils ne parlaient pas un mot de ces langues. On peut très bien imaginer ce genres de modes pour le breton (encore aujourd'hui, combien de Yann ou de Gaëlle parlent breton ?).
A l'inverse, nous savons que de nombreux bretonnants avaient des noms de familles d'origines germaniques ou romanes (c'est le cas des derniers locuteurs de Batz par exemple), enfin, pour brouiller encore plus les pistes, de nombreux témoignages dans le département montre que les bretonnants avaient l'habitude de traduire leurs noms de familles, et ainsi sur les papiers, un monsieur Yann ar Bleiz, devenait aisément Jean Leloup et vice et versa...
Quatrième indice: les témoignages.
Mais je suis fatigué, je le laisse pour un autre article ! (7)
Pour finir, la carte « geobreizh » est de loin la plus complete et la plus actuelle à ce sujet :
http://www.geobreizh.com/breizh/fra/carte-langue.asp
(carte générale de la langue bretonne geobreizh, la ligne rose : zone d'extension maximale du breton, ligne Plouha/ Pouliguen : zone bretonnante au 19ème siècle, la ligne rouge : Plouha/Vannes : est la ligne actuelle)
1/ X. Delamarre Dictionnaire de la langue gauloise édition errance
3/Jean-Yves Le Moing Noms de lieux bretons de Haute Bretagne. Coop Breizh.
4/http://www.insitu.culture.fr/article.xsp?numero=5&id_article=d3-1587
5/Tout ces mots ont été collectés entre la Brière et le pays de Chateaubriant.
6/ Pour avoir de nombreux exemples de mots gaulois dans les langues latines de France, lisez "La Gaule des activités économiques" de J. Lacroix, édition errances.
7/ L'article Wikipedia, est très bien fait, et fait une suite parfaite à cette article:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Breton_de_Batz-sur-Mer
Dernière édition de l'article : 18 Novembre 2011