Organisation paysanne et rurale ayant existé pendant des siècles en Bretagne, la frairie permettait de créer du lien social et de la solidarité entre les fermes dans une région où l'habitat est dispersé.
Les membres d'une frairies se voyaient comme des parents d'une même famille et dans certains endroits ont se gratifiait du nom de « cousin-e » ou de « oncle/tante » pour les anciens.
« Les habitants d'une même frairie se considéraient comme frères»
(A. Marchand, Pont-Château pendant la révolution,1981)
Pour en savoir plus sur les frairies en général je vous repporte aux autres articles de ce blog sur le sujet, ou à l'exellente étude de Hubert Maheux (lisible en ligne).
Cette fois nous examineront une frairie en particulier pour avoir un exemple concret de leur organisation, cette frairie est celle de Château-Sé dans la commune de Plessé.
I. Dans la frairie :
La carte de Château-Sé (délimitée approximativement par les pointillés blancs, à partir des archives des délibérations municipales.)
(la carte est certainement incomplète notamment au sujet des puits et fours)
Villages :
La frairie s'étale sur environs 639 hectares et s'articule principalement autours de trois villages : Saint-Clair, Le Guignoux et La Souraudais. D'autres villages moins importants existent comme Tressé et Toulan.
Communs :
Ils sont de plusieurs sortes : puits, fours, champs et landes.
Les champs ouverts divisés en «lanières» (appelées "riyaj"), structure agraire assez typique de la Bretagne médiane et occidentale, pouvaient être le lieu de travaux en groupe.
Les landes se trouvaient autour du menhir dit de la pierre folle au nord-est de la frairies, cette lande était divisée en trois pour les trois villages principaux : lande du Guignoux, lande de Saint-Clair et lande de la Souraudais, chacune pouvant être exploitée par les habitants du dit village.
Les marais sont particulièrement nombreux et présentent aussi des lanières sur le cadastre, comme pour les landes leur nom réfère au village pouvant exploiter ses ressources : marais de Saint-Clair, marais du Guignoux,...
Chaque village possédait au moins un puit ou une fontaine commune.
Les terres communes furent un enjeu dans le Plessé du XIXème, les plesséens ont d'abord manifesté leur volonté de voir les communs indivisibles (les terrains « non enclos ») :
« les Biens communaux de cette paroisse restent et demeurent indivisibles entre tous les habitants de la dite commune » (délibération municipale)
(1789)
Cependant, comme ailleurs, ces pratiques ne résisteront pas au rouleau compresseur de la « rationalisation des terres », et tout au long du XIXème siècle on assiste à une aliénation de ces terrains et à leur enclosure par des particuliers. Une bonne partie de l'argent récolté par la mairie grace à ces ventes permettra la destruction de l'ancienne église et à la construction d'une nouvelle.
« Monsieur le Maire dépose sous les yeux du conseil municipal un projet d'expertise des terrains communaux dont la commune à depuis longtemps demendé la vente en faveur de l'Eglise de la paroisse de Plessé. » (délibération municipale)
Lieu de rassemblement :
Ces lieux étaient toujours situés sur un champ commun, pour Château-Sé il se trouvait en face de l'ancienne chapelle sur le pré connu comme « le champs de foire ». On s'y réunissait pour les fêtes.
Lieux religieux :
La chapelle aujourd'hui disparue de Saint-Clair construite au XIème sur l'ancien château de Sé. La croyance locale étant que ce saint, aurait prêché dans la commune. En réalité nous ne savons rien ou presque de serieux au sujet de Saint-Clair de Nantes et selon Quilgars il serait une « importation monastique » à la mode entre le X et le XIIème siècle, ce qui correspond d'ailleurs à la date de fondation de l'édifice.
La fontaine de Saint-Clair, joli endroit un peu oublié au bord de l'Isac, est une fontaine miraculeuse. Sans surprise pour un saint appelé "Clair", l'eau de la fontaine est réputée encore aujourd'hui soigner les yeux. Le village de Saint-Clair étant donc manifestement le centre de la frairie.
Le 10 octobre était l'occasion d'un rassemblement auprès de cette fontaine pour faire bénir les semences.
Chefs de frairies :
La frairie élisait un chef qui devait représenter la frairie pendant une année.
Il décidait de la date des semailles, des récoltes et de la vaine pâture (cf karrikell).
Plusieurs chefs de Château-Sé ou en tout cas quelques personnages importants de cette dernière apparaissent dans les sources :
1789 (Cahiers de doléances)
Pierre Châtellier ( ?)
Jean Roullet (1739-1806 marié à Marie Ramet)
Thomas Lucas (?)
1789-1806(Premier conseil municipal)
Pierre Daniel (1737-1807, laboureur, marié à Julienne Plantard)
Michel Davy (?)
René Agasse (?)
Souvent les premiers conseils municipaux bretons ont été constitués en réunissant les chefs des différentes frairies. C'était manifestement le cas pour Plessé.
II. "géopolitique" frériale :
Frairies et seigneuries :
« Le territoire de la frairie comportait généralement plusieurs écarts et ne correspondait jamais aux limites des fiefs seigneuriaux, ce qui pourrait bien attester une mise en place de cette division territoriale antérieurement à la féodalité »
(H. Maheux :)
Durant l'ancien régime les frairies devaient cohabiter avec les seigneuries, ces deux systèmes étaient indépendants l'un de l'autre comme le remarque H. Maheux. C'est aussi le cas de Château-Sé dont le territoire se situait entre deux seigneuries :
-Carheil :
Seigneurie à cheval entre Plessé et Guenrouët, les seigneurs de Carheil ont fait construire la chapelle de Saint-Clair et avait un droit sur le passage à gué de l'Isac. Le château de Carheil se trouvait un peu plus au sud à Plessé.
-Guiniou :
Ancienne seigneurie vassale qui devait avoir son château au lieu-dit « la Cour » au Guignoux, butte entourée de marais à l'ouest de la frairie de Château-Sé. Je n'ai trouvé que très peu d'informations sur cette dernière.
Les paysans de Château-Sé devaient donc composer entre les grolles (corbeaux) des Carheil et les chaouans (chouettes) des Guiniou et payer une dîme « de peu de chose » qui servait essentiellement à rénover la chapelle. Les cahiers de doléances de Plessé montrent que les seigneurs se permettaient de couper les arbres se situant sur les communs (même si ces derniers étaient souvent plantés par les paysans) les privant ainsi de leur droit d'affouage.
Château-Sé et les autres frairies :
Les frairies voisines sont : Saint-Gaudan en Fégréac, Tresnard Guély et Langle en Plessé, Trégreuc et le bourg en Guenrouët. Parfois certaines frairies étaient associées, mais je n'ai rien trouvé de tel pour Château-Sé.
Disparition :
Comme ailleurs en Bretagne, les frairies plesséennes ont peu à peu perdu leurs pouvoirs juridiques, et ne gardait plus à l'orée du XXème siècle qu'un caractère religieux. Seul les plus anciens (80-90 ans) en ont encore souvenirs, elles ont donc certainement disparu entre les deux guerres.
(merci aux époux Desbois)