La Brière ( « Beriorr », « «Boerdjèrr ») et son environnement si particulier stimule l'imagination de ses habitants depuis longtemps. Ces derniers ont essayé de comprendre quelle était son origine. La formation de ce territoire pour des esprits pré-scientifiques étaient forcément le jeu de personnages puissants et surhumains. Cependant, comme nous le verrons, parfois les anciens brièrons surent faire les bonnes observations pratiques, et leurs légendes se regroupent parfois avec la science:
-Les tourbières (touji) sont des écosystèmes très particuliers et fortement tenus en matière organique, elles se forment avec l'accumulation de matière végétale non décomposée dans un milieu humide puis de leur assèchement. Ces conditions très particulières permettent nottament une exellente préservation dans le sol, les « corps des tourbières » sont célèbres(1), des cadavres de personnes mortes il y a plusieurs milliers d'années sont retrouvés intacts avec peau, organes, cheveux et équipement. Ceci explique les récits de «chevalier intacts» trouvés dans la tourbe pendant les extractions. Des arbres anciens peuvent aussi être trouvés (les "morta"), ces derniers sont sûrement à l'origine d'une partie des légendes qui suivent.
-
La foret primitive.
Jadis, la Brière était occupée par une immense forêt, où se situait un château fabuleux protecteur d'un trésor tout aussi fabuleux. Ce dernier était convoité par un sorcier qui, pour arriver à ses fins, déclencha bourrasques et tempêtes, bouleversa tant et si bien tout les éléments que lorsque le château fut enfin anéanti, toute la forêt avait été submergée, laissant place à l'immense marécage (barvatië) que nous connaissons. Notre personnage, cupide, se précipita à travers ce décor hostile mais le trésor prit la fuite (!) en se transformant en crapado (lutin) et alla se cacher dans les profondeurs de la terre sous le menhir de Crugo(2).
2) La sorcière et son taureau :
Une autre légende assez semblable:
Comme dans l'autre conte la Brière serait une antique forêt qui appartenait à une femme très puissante qui, comme toute brièronne qui se respecte, était peu ou prou versée dans la magie. Celle-ci avait un fils qui était particulièrement ingrat. Les choses ne se faisant sans doute pas à moitié à l'époque, la reine trouva de bon ton de littéralement « retourner » la Brière pour engloutir son fils sous terre. Cependant cette dernière possédait un taureau, ne voulant pas tuer sa propre bête elle commanda dans ses incantations d'épargner l'endroit où se trouverais son animal pendant le grand retournement. La bête broutait alors dans le village de Tréhé, qui fut donc le seul endroit épargné.
Les habitants du marais expliquaient ainsi le fait qu'ils trouvaient des arbres fossilisés parfois très profond dans la terre.
3) La création des canaux:
La création des canaux serait l'œuvre d'un serpent ou d'une anguille géante sillonnant le marais. Cette dernière était appelé le grand « pimpernaud » ou « pimpenaud ».
Un autre animal, si ce n'est le même, aurait été tué par un forgeron appelé Lyphard, qui devint ainsi saint et donna son nom à sa commune.
-
Le bas et le haut du monde :
La Brière semblait être vue comme une sorte de monde à bascule, avec un monde du dessus, le marécage et un monde du dessous donc. Aujourd'hui nous pouvons naïvement nous promener dessus mais il n'en aurait pas toujours été ainsi. Il y a fort longtemps les humains de la famille Japhet et les kourrigans (3) (lutins) durent se partager la Brière, il fut décidé que tour à tour les uns vivraient sur terre pendant que les autres vivraient dessous. Ce petit jeux ne devait pas plaire aux machiavéliques humains, qui , un jour qu'ils se trouvaient sur le plancher des vaches, profitèrent de la situation pour murer le monde empêchant leurs cousins chthoniens de remonter à la surface. Depuis cette supercherie les Hommes vivent « à l'étage » du monde, mais ces derniers oublièrent de colmater les cheminées, libérant le chemin au fameux kourrigan noir surnommé le « charbonnier » ou « le frêre ainé de la Mort », il a beau être « fameux » je n'ai pas trouvé d'autres références à propos de ce personnage, affaire à suivre donc...Il est présenté comme étant la cause de nombreux soucis pour les Hommes (cf édition).
Si la Brière, petit à petit, ne cesse de monter, c'est parce que la masse de kourrigans enfermés sous terre pousse le sol vers le haut.
Ainsi, les brièrons semblaient inquiétés par ces petits êtres (4), qui se manifestaient tout de même un peu trop souvent à leurs goûts, dansants autour des ruines et pierres ou tressant les crinières des chevaux. Pour éviter ce genre d'insupportables désagréments, toute maison brièronne bien tenue (en réalité cette pratique était connue ailleurs en Bretagne) se devait de mettre une « runche » pleine de mil, le soir devant son entrée, le follet, ce grand étourdi, ne manquera pas de se cogner dedans et de renverser tout les grains de mil par terre, et de s'empresser de tous les ramasser et les remettre un par un dans la runche (maniaque avec ça !), dégouté, il ne revenait jamais dans les parages.
D'autres ont trouvé des techniques plus expéditives, se débarrasser des petits êtres en faisant cuire de l'eau dans un contenant absurde (souvent dans la coque d'un gland) est un grand classique des croyances aux changellings(5). Au bord de la Brière, les habitants de la Madelaine réussirent à faire fuir tout une famille de kourrigans en mettant à cuire de l'eau dans des tas de petites coquilles à l'endroit où ils se réunissaient , interloqués ces dernier s'esclaffèrent :
"depuis deux cents ans
qu'on est p'tit korrigans
on n'a jamais tant
vus de petits pots bouillon".
Et ne furent plus jamais vus.
(un korrigan selon la "revue des traditions populaires")
2: Les vieux.
Selon ses habitants, la Brière auraient été aussi peuplée de géants forts anciens, ils n'ont pas vraiment de noms, mais les brièrons semblaient les considérer comme leurs ancêtres. Ces derniers versés dans l'art de la magie et vivant aussi sous les pierres et tumulus, sortaient parfois de leurs tanières souterraines durant les nuits d'orages pour mener d'interminables batailles qui produisait un formidable tapage dans le marais.
L'un des lieux les plus fameux où se déroula l'une de leurs batailles fût le Pont d'os (Pondo).
Leurs armes favorites étaient les «pierres à tonnerre», là encore les croyances se mêlent avec la réalité, ces objets bien réels n'ont rien de magiques et sont de simples pierres les «marcassites», un minéral composé de sulfure de fer que l'on rencontre souvent dans la nature.
___
Edition:
Les légendes et croyances de Brière forment un tout étonnant par ses archaïsmes et son étendue ! Voilà encore d'autre informations glanées dans les mêmes sources :
Selon les habitants de Kerconan les mégalithes détruits de Brettineaux était la demeure d'un dieu ("c'est là que demeurait un dieu")
Intéressante aussi cette relation à la Brière, comparée à un corp en putréfaction : "Lorsque l'on tranche la terre brune à la bêche, elle ne se referme pas, sa blessure ne se cicatrise pas, comme dans une chair malsaine" (dit par un paysan briéron à f. Guériff)
---------
Coupés du monde, les brièrons ont développé toute une cosmogonie de « leur monde » basée, en partie sur l'observation de l'écosystème si particulier où ils se trouvent. Esperons que ce lieu stimulera l'imagination de bien d'autres encore !
-> Le kourrigan noir semble lire l'avenir et prenait un malin plaisir à prévenir les humains des malheurs qui les frapperait (Soulvestre)
1: http://fr.wikipedia.org/wiki/Homme_des_tourbi%C3%A8res
2: du breton « krugoù » :tumulus.
3 : le mot « kourrigan » est à rapprocher du breton de Batz « kourrican » formé de « korr » (nain) et des diminutif « -ig » et « -an » : « tout petit nain ». Le mot est en concurrence avec « crapado », « folet » et « luton ».
4: Et pour longtemps, dans le début des années 70, un de ces petits hommes fût la cause d'un accident de circulation en Brière, selon des témoins présentés commme « dignes de fois » par les gendarmes...
5:link
Toutes ces légendes ont été receuillis et/ou compilés par l'éthnologue et musicologue Fernand Guériff (1914/ 1994) , vous les trouverez dans son livre "Brière de brumes et de rêves" 1979.